Un défenseur des droits humains colombien remporte la 10ème édition du prix du mouvement des droits humains le plus prestigieux
Aujourd’hui, la Fondation Martin Ennals a annoncé qu’Alirio Uribe Muñoz, du Collectif Jose Alvear Restrepo (Colombie), a été désigné vainqueur du Prix Martin Ennals pour les défenseurs des droits humains (MEA) 2003.
Alirio Uribe, militant qui se bat depuis plus de dix ans pour les victimes des violations des droits humains, a déclaré que ce grand honneur “rev(enait) d’abord et avant tout à tous les défenseurs des droits humains en Colombie qui se battent dans l’espoir que leur pays sortira un jour de la période de crise dans laquelle il se trouve aujourd’hui.” Le prix constitue un message clair de reconnaissance et d’espoir pour tous les défenseurs des droits humains qui, comme Alirio, risquent leur vie tous les jours en dénonçant les graves violations des droits humains et du droit humanitaire et en luttant contre l’impunité généralisée dans leur pays.
En 2001, dix membres d’ONG et 150 syndicalistes ont été assassinés en Colombie. 90% de ces crimes ont été commis par des groupes para-militaires dont la complicité avec l’armée a été démontrée à de maintes reprises par les organisations inter-gouvernementales et les groupes internationaux de défense des droits humains. Les 10% restants ont été commis par des rebelles, l’armée ou d’autres groupes armés. Le travail des défenseurs des droits humains est indispensable au vu des violations des droits humains commises à grande échelle. Pendant la seule année 2001, ont été enregistrés 3366 assassinats politiques, 775 cas de disparitions et plus de 300 000 déplacements forcés. En 2002, la situation a continué de se détériorer.
La cérémonie de remise de prix aura lieu le 31 mars 2003 à Genève et sera retransmise en direct par la télévision suisse. La chanteuse Barbara Hendricks se produira et M. Sergio Vieira de Mello, Haut-Commissaire aux droits de l’homme, a accepté de remettre le prix en personne.
Le Prix Martin Ennals pour les défenseurs des droits humains (MEA) est le résultat d’une collaboration unique entre dix des plus grandes organisations de défense des droits humains visant à protéger des défenseurs des droits humains à travers le monde. Le Jury est composé des ONG suivantes: Amnesty International,Human Rights Watch, Human Rights First, Fédération internationale des droits de l’homme, Organisation mondiale contre la torture, Front Line Defenders, Commission internationale de juristes, German Diakonie, Service international pour les droits de l’homme et HURIDOCS.
Le MEA, créé en 1993, récompense chaque année une personne ou une organisation qui a fait preuve d’un courage exceptionnel dans son combat contre les violations des droits humains. Le prix, d’un montant de 20 000 CHF, permet au/à la lauréat-e de poursuivre son travail de défense des droits humains. Les lauréats du MEA précédents sont: Jacqueline Moudeina, Tchad (2002); Peace Brigades International, Immaculée Birhaheka, RDC; Natasa Kandic, Yougoslavie; Eyad El Sarraj, Palestine; Samuel Ruiz Garcia, Mexique; Clement Nwankwo, Nigeria; Asma Jahangir, Pakistan; Harry Wu, Chine (1994).
Martin Ennals (1927-1991) a joué un rôle déterminant dans le mouvement moderne des droits humains. Fervent militant dédié à la cause des droits humains, il a, en tant que Secrétaire général d’Amnesty International, fait progresser des idées visionnaires et créatives. Il a également été la force motrice de nombreuses organisations. L’un de ses souhaits les plus chers? Une plus grande collaboration et une solidarité plus forte entre les ONG. L’existence du MEA est la preuve même que son désir peut devenir réalité.
Discours d’Alirio Uribe Muñoz
Aujourd’hui, à quelques centaines de kilomètres d’ici, un crime d’agression est en train d’être commis contre le peuple irakien dans le cadre d’une guerre injuste et illégale qui ravage le Moyen-Orient. Toutes sortes de crimes sont perpétrées au nom de la lutte contre le terrorisme. En Colombie, pour la même raison, les derniers vestiges de l’état de droit sont en train d’être anéantis: les libertés civiles sont restreintes et la guerre continue de s’aggraver avec l’intervention croissante des Etats-Unis.
En Colombie, les quatre dernières années du gouvernement précédent ont été marquées par les plus graves crimes contre l’humanité, violations des droits humains et crimes de guerre commis depuis plus de 40 ans et ce, en dépit de l’ouverture d’un dialogue entre les guérilleros du FARC et l’ELN. En moyenne, chaque jour étaient commis un massacre (assassinats collectifs) et 20 assassinats politiques (5 sur 20 dans un combat). Plus de 1500 cas de disparitions forcées de citoyens colombiens, plus de dix mille cas de personnes enlevées et plus d’un million de déplacés ont été enregistrés. Et toujours plus de pauvreté, d’exclusion sociale et de chômage. La désillusion suscitée par les pourparlers de paix qui ne tiennent pas compte des causes structurelles de la violence ont rendu possible l’accession au pouvoir d’Alvaro Uribe Vélez.
Le nouveau gouvernement a appelé à une guerre totale et recourt à nouveau à la fameuse vieille formule inefficace: celle de résoudre des problèmes avec l’autoritarisme, le terrorisme d’état dans le cadre d’un état d’exception où toute forme d’opposition sociale et politique est stigmatisée et persécutée. “Une main ferme et un grand coeur”: c’est avec une telle formule que le nouveau président a gagné les voix d’un quart de la population votante. La main ferme se resserre sur le peuple et le grand coeur s’ouvre aux capitaux étrangers.
Depuis huit mois, le nouveau gouvernement s’est installé au pouvoir et le conflit s’est intensifié. Les actes terroristes se sont multipliés et la population civile s’est trouvée davantage impliquée dans la guerre (avec la création de réseaux d’informateurs et de paysans armés). Le nombre de personnes déplacées a augmenté de 100% depuis l’an dernier et plus de 50 syndicalistes ont été tués. Le nombre d’exécutions extra-judiciaires a également augmenté. La fumigation de vastes zones du territoire national a causé la destruction des plantations de coca et de pavot et la bio-diversité. Les conditions de travail et les réformes des retraites ont entravé les droits économiques et sociaux des travailleurs et des plus pauvres de Colombie.
Pour toutes ces raisons, le Prix Martin Ennals que je reçois aujourd’hui est pour moi plus qu’une reconnaissance personnelle: il représente un hommage aux centaines de défenseurs des droits humains tués en Colombie: Blanca Cecilia Valero, Yolanda Ceron et Maritza Palacios Quiroz, Jesús Ramiro Zapata, des collègues comme Alirio de Jesús Pedraza Becerra, Eduardo Umaña Mendoza, Jesús María Valle Jaramillo, Javier Barriga Vergel, Josué Giraldo Cardona, Oscar Elías López, Rodolfo Alvarez Ruiz, Fernando Cruz, Rafael Vargas Filizola, Efrain Varela et des centaines d’autres à qui on a enlevé la vie, laissant ainsi régner l’impunité, le silence et les exécutions continues. Ils vivront toujours à travers notre lutte contre l’impunité, notre combat pour la vérité, la justice et la réparation pour les victimes de graves violations des droits humains. C’est au nom de tous ces militants des droits humains que nous recevons ce prix et nous réaffirmons que la terreur n’a pas réussi à prendre le meilleur de nous-mêmes et ne nous empêchera pas de défendre les valeurs les plus cruciales de l’humanité.”
C’est plein d’espoir que je reçois ce prix qui représente pour nous non seulement une contribution importante pour continuer à forger la résistance civile et démocratique en Colombie, mais aussi un appel aux autorités colombiennes pour qu’elles cessent de nous harceler, de nous persécuter, de nous stigmatiser. Je ne peux m’empêcher de songer à ma collègue Soraya Gutiérrez Arguello qui vit une période d’angoisse depuis qu’elle a été récemment victime d’une attaque terroriste et dont la fille de 4 ans a été menacée. Je pense aussi à mes collègues du Collectif José Alvear Restrepo qui, pendant les 25 dernières années, ont combattu la peur et l’ont domptée malgré la mort, l’exil et le sentiment d’impuissance. En Colombie, à chaque fois on apprend que la peur peut se glisser en nous mais nous ne fera pas baisser la tête face à l’adversité, comme nos collègues de l’Organisation féminine populaire (Organización Femenina Popular) le disent dans leur vie quotidienne de résistantes. Je reçois ce prix comme une reconnaissance de tous les combats silencieux du mouvement social colombien, de ces hommes et femmes, des syndicalistes, des leaders paysans, des communautés autochtones, des Afro-Colombiens qui n’accepteront pas de vivre dans l’exclusion, qui n’oublieront pas leurs utopies et qui continueront de se battre pour leurs droits.
Nous nous battons pour que notre pays vainque la mort et qu’une solution politique résolve les conflits sociaux et armés permettant ainsi la reconstruction du pays. Pour que la paix soit construite chaque jour, pour que l’impunité soit vaincue grâce aux transformations sociales que réclament nos communautés, pour se débarrasser de la peur et de la pauvreté comme l’exige la Déclaration universelle des droits de l’homme. Aujourd’hui, je souhaite que les millions de personnes déplacées puissent retourner chez elles dans des conditions qui préservent leur sécurité et leur dignité. Je souhaite que les exilés retournent chez eux parce que l’on a besoin de leur intelligence. Je souhaite que la cruauté, les assassinats politiques, la pauvreté et la fin cessent. Je souhaite pour notre peuple de recouvrer sa dignité. Je souhaite que la vérité soit dévoilée et que la justice puisse enfin exister. Je souhaite que l’identité de tous ceux à qui profite la violence en Colombie, qu’ils se trouvent à l’intérieur du pays ou ailleurs dans le monde, soit divulguée. Je souhaite que l’on puisse recomposer le tissu social et la confiance. Je rêve du jour où mon souhait ne sera plus de m’exiler.
Ce prix nous aide à surmonter le scepticisme avant que des scénarios encore plus catastrophiques ne se produisent à l’avenir, non seulement pour la Colombie mais pour toute l’humanité. Nous pourrions mourir dans ce combat mais nous ne perdrons jamais espoir. Vous, avec ce prix, vous nous aidez à gagner le combat de la vie. Je vous remercie.